fin de l'intervalle

3 mercredi [avril 1839]
  Parti à sept heures pour Saint-Étienne. Puiseux a voulu nous accompagner. L'omnibus nous mène à l'extrémité de Perrache [...]. Fourvière nous suit longtemps, avec sa belle chaîne, le long de la Saône et les grottes du chemin des Étroits (?) où Rousseau, jeune et pauvre, dormit si bien. Que d'aventures dans ce Lyon à la rencontre des routes et des fleuves ! N'est-ce pas sur un pont de Lyon qu'Agrippa d'Aubigné délibérait s'il se noierait, lorsque la Providence vint à son secours ?
  Cependant, nous passons sous les dernières collines de la chaîne, nous perdons de vue Fourvière, nous longeons le Rhône. Les chevaux nous quittent, la machine vient nous remorquer. Vitesse fort modérée, puisqu'on monte à Saint-Etienne en cinq heures (douze lieues). Il n'en faut que trois pour descendre [...] je remarquais à peine, en descendant, que nous n'avions ni machine, ni chevaux, notre poids nous entraînait jusqu'à Rive-de-Gier. Cette fatalité toute aveugle a quelque chose de terrible. La machine à vapeur au moins est encore une œuvre de l'homme, une fille de son génie... Sur la route, je remarquais comment des lentes transitions, si doucement ménagées par la nature, étaient supprimées par cette brusque allure où l'homme est transporté soudain, comme par la violence d'un machiniste de spectacle, du Sud au Nord, de l'est à l'Ouest.

Michelet, Journal (1828-1848), t. I, Paris, Gallimard, 1959, p. 299-301.

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